L’histoire d’une belle rencontre au fin au fond du Couserans lors d’une matinée sépia de juin, transformant un modeste itinéraire en moment inoubliable.

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Au moment de l’heure bleue, ce hameau est toujours aussi calme. Sous les portes trop courtes des granges, s’échappe une odeur de terre, d’humidité, de vie et de temps qui passe. Autrefois bien huilés, les gonds sont grignotés par la rouille et crient à chaque mouvement. Tous les ans, les fissures des murs s’écartent un peu plus. Quelques aboiements percent la grisaille.

Dans la hêtraie désordonnée, il est plus facile de suivre le discret chemin que mes passages ont contribué à marquer. Elle laisse place à une armée de sapins se tenant au garde-à-vous. Entre ces soldats où règne une obscurité permanente, je ne passe jamais au même endroit. Une cabane trône dans la vaste clairière. A l’orée de la forêt, l’odeur de cheminée m’a encouragé à prendre mes distances. Depuis le versant opposé, j’observe deux personnes qui reviennent s’y abriter et je frissonne à la vue du fusil que porte l’un d’eux. Ils discutent un moment avec quelqu’un venant d’arriver.

Mais que se passe-t-il aujourd’hui ? D’habitude, il n’y a jamais personne ici.

Au-dessus de la mer de nuages, le ciel est prisonnier d’un voile ocre, étouffant la vitalité de cette matinée de juin. Le paysage traîne de lourdes cernes et seuls les premiers sommets sont visibles. Bientôt, les brebis occuperont cette combe et passeront la nuit groupées dans leur enclos avant que le lever du jour ne les délivre à nouveau.

Tranquillement, je remonte la succession de ressauts herbeux. Quelques abreuvoirs témoignent de la vie pastorale. Sur la crête, la vue s’ouvre de tous les côtés, vers ces montagnes que je parcours inlassablement. C’est l’effervescence dans le vallon voisin : à peine perceptibles, les cris des bergers résonnent au loin. Les reliefs moutonnés sous le pic de Montaud sont toujours désespérément vides.

Un air chaud souffle en provenance du sud. Il flotte un air moite de fin du monde. Quelques jours auparavant, le ciel a vrombi, j’ai cru qu’il allait s’écrouler. Pourtant, aucune goutte ne fit pleurer la montagne. C’était une cabane qui arrivait par les airs.

Soudain, une silhouette surgit à quelques dizaines de mètres. J’ignore lequel de nous deux est le plus surpris mais lui s’est vite caché. Le vent contraire m’a empêché de le sentir. Avec son t-shirt orange, je ne pouvais pas le manquer. Je le reconnais, il était tout à l’heure à la cabane. Peut-être parlaient-ils de moi, dissimulé non loin, de l’ours comme ils disent.

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L’objectif est de découvrir cette discrète combe repérée depuis les alentours. Je ne suis jamais allé en montagne pour essayer d’apercevoir un ours, mais dans une vallée comme celle d’aujourd’hui, difficile de ne pas y songer. Commence alors une bataille intérieure, ne pas y penser, convaincu qu’une rencontre ne se fera que par surprise.

Tôt le matin, quelques minutes sont toujours nécessaires pour chasser les sensations de vertige provoquées par les premiers efforts et la terne lumière des sous-bois. Je m’attends à croiser du monde car un vieux 4×4 est garé en bout de piste. En effet, quelques affaires sont restées dans la cabane et deux personnes m’observent aux jumelles avant de me rejoindre d’un bon pas. Après une rapide discussion, la cabane disparaît définitivement.

Sur la crête, un isard déboule et interrompt cet état de méditation qui s’installe parfois en marchant. D’abord étroite mais facile, elle s’élève en dents de scie avant de s’élargir. Au détour d’un relief, je lève la tête pour étudier la suite et me retrouve planté face à cette chimère qui vient de prendre corps.

L’ours. Dans les Pyrénées, il est évoqué comme une figure mythique unique, similaire à la manière dont on se réfère au yéti. Mirage, espoir ou fascination pour certains, menace pour d’autres.

Qui étais-tu jeune maman ? J’espère ne pas t’avoir dérangé.

Désormais, quand j’observe ces montagnes devenues familières au fil du temps, c’est comme si une épingle était plantée sur ce modeste sommet proche de la frontière, d’où vient le vent du sud. Celui, qui parfois, voile l’horizon, celui qui a éloigné mon odeur et dilué mes pensées. Plein de mystères, ce vent du sud était la clé.