Le projet : au départ de Luchon, réaliser une boucle passant par les 5 refuges gardés du massif : Venasque, Maupas, Portillon, Soula, Lac d’Oo et Espingo.
Date : 15/08/2019
Distance totale Distance et dénivelé indicatifs. Privilégier ces valeurs plutôt que celles indiquées le profil. : 80 km
Dénivelé positif : 5000 m
Temps : 19h30
Conditions et commentaires : beau puis humide sous la mer de nuages puis virant au médiocre généralisé.
Difficultés : passages délicats au couloir de la Montagnette, à la brèche d’Estauas et au col des Crabioules.
Accès : Bagnères-de-Luchon
Itinéraire Profil visible en cliquant en bas à gauche de la carte. Privilégier les valeurs ci-dessus plutôt que celles indiquées sur le profil. : GPX
C’est en pensant aux copains qui profitent de leurs dernières heures de repos avant la PICaPICA que nous arrivons à Luchon dans la nuit du mercredi au jeudi 15/08. De retour de vacances en atterrissant à Blagnac le jour même à 15h30, Julien trouve l’énergie pour un rendez-vous à 22h30 à Saint-Gaudens. Tant de belles sorties, de crêtes, de cabanes, de passages délicats, de concertations, de projets plus ou moins farfelus, mais là, fallait le faire quand même ! Bravo à toi. A ta place, je dormirais encore dans une tente à Venasque à l’heure qu’il est…
Première étape : Luchon – Refuge de Venasque
L’objectif est d’abord de rallier l’Hospice de France par le chemin le plus direct. Nous débutons à 00h30 et rejoignons le Pont de Ravi par la route puis l’Hospice de France par l’ancienne route/piste. Nous croisons quelques voitures qui doivent bien se demander ce que nous faisons là et arrivons rapidement à l’Hospice de France pour entamer les célèbres lacets de Vénasque. La lune est telle que la frontale est à peine nécessaire jusqu’au refuge de Venasque où le niveau des lacs est extrêmement bas. Cette première étape roulante se termine donc en 2h45 après 16,5 km et 1600 m de D+
Deuxième étape : Refuge de Venasque – Refuge du Maupas
Après une pause aux abords du refuge, nous partons en direction du col de la Montagnette. Il va falloir faire le deuil de la route et du sentier de Venasque car le terrain empire progressivement. Nous arrivons au col après 200 mètres de D+ pour enchaîner sur une longue traversée au-dessus du vaste étang de la Montagnette. Nous rencontrons nos premières zones d’éboulis et atteignons l’antécime du pic de la Montagnette. Deux billes vertes brillent à une trentaine de mètres, nous avons dérangé un isard ! Au sud, l’énorme masse du massif de la Maladeta se détache où quelques frontales commencent déjà à s’agiter. Nous sommes plongés dans un grand silence bientôt brusqué par la première descente de la journée : le couloir SO du pic de la Montagnette, une voie d’accès hivernale à 45/50°. En plein mois d’août, c’est un raide goulet rocheux s’évasant sur la fin. Les chutes de pierres sont inévitables et nous décidons de descendre un par un en nous abritant dès que possible pour se rejoindre, et ainsi de suite… Plus de 30 minutes pour descendre 350 mètres, une arrivée en Espagne délicate, mais une ambiance inoubliable dans la nuit encore bien installée.
Nous arrivons à deux étangs puis suivons au jugé l’itinéraire vers le port de la Glère où je suis à deux doigts de m’étaler sur une tente que je n’avais pas vue ! Nous laissons ensuite le port de la Glère pour filer hors-sentier vers la brèche d’Estauas, porte d’entrée sur la descente vers le lac Célinda. Pour rejoindre la brèche, pas de trace, pas de cairn, un terrain parfois malcommode, la trace nous est donc utile pour ne pas trop perdre de temps. Versant français, le terrain est pire : c’est le petit frère du couloir précédemment descendu. Nous y allons à nouveau à tour de rôle avant de poursuivre en parallèle dès que le couloir s’élargit. De nombreuses chutes de pierres viennent rompre avec fracas le calme des lieux. S’il y a des campeurs à l’étang, les pauvres sont assurément réveillés. Jusqu’au refuge du Maupas, nous retrouvons enfin un sentier qui oscille tranquillement accompagné d’un magnifique spectacle : à l’est, les premières lueurs du jour apparaissent puis le soleil surgit au-dessus des sommets et de la lointaine mer de nuages. La frontale part au fond du sac. Ce serait mauvais signe d’en avoir encore besoin même si cette étape plus difficile que prévue a engendré un peu de retard sur nos prévisions.
Troisième étape : Refuge du Maupas – Refuge du Portillon
Paradoxalement, c’est avec l’arrivée du jour que nous ressentons tous les deux un coup de fatigue qui s’évapore toutefois rapidement après un break au refuge. De toute façon, pas le choix d’être alerte pour la montée de 600 mètres vers le col des Crabioules que je connais déjà. Nous suivons brièvement la voie normale du pic de Maupas avant de bifurquer (un drapeau indique le seul passage praticable) dans le cirque des Crabioules : royaume austère mais époustouflant de chaos et blocs en tout genre. Quelques lignes de cairns indiquent les itinéraires de moindre résistance dans cet océan minéral. Passage emblématique de la HRP à plus de 3000 mètres d’altitude, j’imaginais cette descente plus facile ou alors nous avons manqué quelque chose. Julien continue la crête vers le pic des Crabioules, y trouve d’ailleurs une sangle de rappel (c’est dire…) et descend un dièdre avant que la crête ne se redresse tandis que je descends avec attention sur des terrasses aériennes et en mauvais rocher.
Parvenus sur des dalles polies plus faciles, le col de Litérole se rapproche. Un névé très dur fait obstacle et il est très compliqué de l’éviter. Nous le longeons pour le traverser à un endroit non exposé. Heureusement, car à force de me défoncer les orteils à taper, je glisse et atterris 10 mètres plus bas sans bobo. Je suis contrarié d’avoir dérapé mais satisfait d’avoir anticipé pour traverser le névé dans une relative sécurité. Une dernière montée dans des éboulis fuyants nous ramène à la frontière pour une descente cassante mais somptueuse jusqu’au refuge du Portillon face au lac du même nom et aux 3000 environnants.
Quatrième étape : Refuge du Portillon – Refuge de la Soula
Il y a parfois des difficultés inattendues en montagne : pour Julien, c’est de réussir à finir l’omelette gargantuesque concoctée par le gardien. Sa collègue nous souhaite une bonne descente mais nous nous gardons de lui dire que la journée est loin d’être terminée. Dans la montée au col du Pluviomètre au terrain éprouvant, Julien fait face à un petit coup de moins bien qui l’accompagnera jusqu’au col des Gourgs-Blancs où les éboulis piégeux ne sont pas les plus propices à la récupération. Cette portion se réalise sous l’oeil du pic des Gourgs-Blancs à propos duquel je partage l’avis de Philippe Quéinnec : “Il faut le voir depuis la tusse de Montarqué au petit matin quand il s’enflamme, l’examiner depuis les Spijeoles par-dessus son glacier résiduel, le retrouver depuis le Schrader en premier plan des autres 3000, l’admirer depuis les Posets, enfin le gravir en traversée du port d’Oô au port de Pouchergues, et se laisser convaincre que c’est le plus beau sommet des Pyrénées”. Bon, il oublie le Mont Valier en haut du podium, mais considérons que ce dernier est au-delà de toutes ces considérations.
De l’autre côté du col, nous remarquons que la mer de nuages prévue, désormais bien haute, nous enveloppera bientôt de son humidité. C’est parti pour une longue descente de 1500 mètres de dénivelé. Direction le refuge de la Soula par le magnifique vallon des lacs (Isclots, Pouchergues, Caillauas…) entourés de part et d’autre par la crête des Gourgs-Blancs et la crête Spijéoles-Hourgade. Le profil alterne ressauts soutenus avec des passages beaucoup plus doux autour des étangs. Au risque de me répéter, même en descente, le terrain est éprouvant jusqu’au lac de Caillauas avant lequel nous passons sous la couche nuageuse. Quelques larges lacets nous permettent de courir par intermittence sur le long chemin menant au refuge. Les voyants sont au vert pour tous les deux, un petit encas dans la salle commune du refuge et c’est reparti.
Cinquième étape : Refuge de la Soula -> Granges d’Astau
Descente au Pont du Prat par le joli sentier des gorges de Clarabide où nous croisons pas mal de marcheurs. Après une partie de transition sur 4 kilomètres de route en faux-plat descendant, une montée sèche de 1000 mètres nous attend. J’en connais une partie ce qui nous permet de la matérialiser en 3 étapes distinctes mais toutes aussi raides : d’abord une montée dans les bois où une légère bruine fait son apparition, puis une piste jusqu’à la cabane d’Ourtiga où un vrai crachin s’installe et enfin un dernier effort jusqu’au Couret d’Esquierry qui ne semble jamais arriver. Le rythme était plus poussif en fin d’ascension, mais nous avons malgré tout bien tenu le coup dans cette ambiance écossaise.
La longue descente jusqu’au refuge de la Soula puis jusqu’à la route a laissé quelques traces. Les jambes sont lourdes durant la descente de 1000 mètres jusqu’aux granges d’Astau sous une météo toujours aussi humide. Pas grand chose à signaler hormis un slalom géant entre les vaches et une atmosphère elfique dans la forêt brumeuse. Nous faisons un point sous un abri étroit : rentrer au plus rapide en descendant vers Luchon ou bien suivre la trace prévue en montant vers Espingo puis Superbagnères. Cette deuxième solution rajoute 1200 mètres de dénivelé et nous ferait sans doute passer au-dessus des 90 kilomètres. La pluie, l’heure qui tourne et la fatigue nous incite à la sagesse. Il est temps de rentrer.
Sixième étape : Granges d’Astau -> Luchon
Ce n’est pas l’étape la plus sexy de la journée et le temps est toujours aussi humide. Un chemin mène à Oo sur la rive gauche mais nous préférons parcourir les 3,5 km de route. Dans le village, une passerelle nous permet de repasser rive droite et suivre une large piste. Cette dernière n’en finit pas de longer le vaste versant boisé : nous avons l’impression qu’en face, le village de St Aventin ne passe jamais derrière nous. Pire, de nombreuses petites montées cassent le rythme. Nous sentons que la fin est proche, nous nous relâchons et les jambes commencent à tirer. Au loin, les premiers bâtiments de Luchon apparaissent enfin et une dernière rude descente nous amène au bout de l’avenue Jean Jaurès. Pas de concurrents, pas de speaker, quelques virages dans les calmes ruelles nous amènent au parking du funiculaire où un automobiliste nous interpelle :
– “Bonjour, vous partez ?”
– “Oui, on prend juste 5 minutes pour se changer. Enfin, peut-être 10…”.